Comment identifier un peuple sans connaître son histoire?

Editorial de la Revue Igloos n° 99-100, octobre 1978. »Comment identifier un peuple sans connaître son histoire ?

« Tout au bas de l’échelle sociale existe une population appelée Quart Monde ou sous-prolétariat. A ce niveau, les travailleurs ne se situent pas, ils ne sont pas reconnus comme des compagnons de travail ou des camarades de lutte.

Pourtant, ces hommes, ces femmes gagnent leur vie ; comme tous les ouvriers, ils subissent la dure loi du travail. Comme eux, ils sollicitent un emploi et souffrent du chômage plus que tous ; eux, leur salaire est souvent insuffisant, ils se considèrent en état d’infériorité dans notre société moderne.

Pourquoi alors ne se sentent-ils pas concernés par ces luttes ouvrières, pourquoi n’adhèrent-ils pas aux organisations représentatives ? C’est parce que le travail ne leur a pas permis d’être quelqu’un, qu’il ne leur a pas donné le sens des responsabilités et la conscience d’être utiles à la société.

En effet, dès le plus jeune âge, les enfants du Quart Monde sont-ils obligés de participer à la survie de la famille, de prendre sur eux le soin des frères et des s ?urs plus petits, de rapporter de l’argent en faisant la biffe, les travaux saisonniers, mille menus tâches pour gagner quelques sous.

A mesure qu’ils grandissent, les emplois non reconnus, clandestins ou assimilés à la délinquance(récupération, casse de voitures) vont continuer à être les leurs. Les conditions sous-humaines d’existence de la famille ont pour conséquences qu’ils n’atteindront aucune qualification professionnelle, qu’ils souffriront d’un sous-emploi chronique ; la condition familiale enferme les parents et bientôt les jeunes dans les zones marginales du marché du travail. Zones du travail humilié lorsqu’ils cherchent un emploi : « Les gens de ton quartier, on se méfie un peu… »  » Vous êtes trop faible, trop vieux… » « On ne peut pas vous prendre si vous ne savez pas écrire… « , traités de fainéants quand ils ne travaillent pas.

De toute façon, le travail ne leur apportera qu’un faible revenu : « Mon père ramenait toujours de quoi manger » (des Halles). Il avait en effet… 300 francs par mois, plus les déchets du marché. Ou il sera perçu comme une punition parce qu’on l’aura appris en cours de placement, voire en prison, et qu’en général on ne pourra jamais l’exercer (cartonnier, par exemple). Il sera aussi comme une sorte de chantage au sein de la famille, les relations sont perturbées par le chômage et la misère : « Si tu ne trouves pas de boulot, tu peux partir ». Alors le travail devient une espérance folle après laquelle ton court, ou un rêve inaccessible, ainsi l’intérim qui fait miroiter un poste bien payé au Bourget, à Roissy. On y croit, on ne cherche pas d’emploi en attendant mais, le jour de l’embauche, on n’a même pas l’argent nécessaire pour aller à Roissy, l’on s’y rend à pied, 7 kilomètres avec le ventre creux.

Ainsi cette face cachée du Monde des travailleurs est une population en marge du travail et dont la réalité professionnelle quotidienne est humiliante, sans issue et donc sans avenir. Population dont le travail, parce qu’il n’est pas reconnu rentable est assimilé à du « non-travail ». Et on en arrive à cette dichotomie : travail = hommes ; non-travail = inutilité. Pourtant, les sous-prolétaires refusent de se laisser enfermer dans cette alternative. Ils se veulent ouvriers, ils se proclament tels, ils votent pour : « Nous, on vote pour le parti ouvrier ».

Cet Igloo a pour but de nous faire prendre conscience que les sous-prolétaires se veulent des ouvriers comme les autres, qu’ils veulent être insérés grâce à un métier appris et considéré, dans le monde du travail. Affirmer leurs espoirs, c’est permettre aux Syndicats, aux forces ouvrières de prendre en compte ces hommes dont l’expérience et les revendications jaillissent du plus profond de la condition ouvrière.

C’est aussi en rendant la dignité à cette partie cachée du monde du travail, apporter son tribut à l’union et à la solidarité de tous les travailleurs ».

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