Ecrire l’histoire

Texte manuscrit du Père Joseph, daté de 1980, retrouvé dans le fond du tiroir de son bureau au 107 à Pierrelaye et recopié par Francine de la Gorce. (original au Centre International Joseph Wresinski à Baillet)

Écrire l’histoire qui va venir parce que c’est d’abord écrire l’histoire des espoirs exprimés ou latents. L’histoire est présage. L’histoire vraie, délivrée de la fabulation, le meilleur, le plus dur, le plus courageux qu’il racontera à ses petits-enfants et formera la trame de la nouvelle histoire des misérables – celle où ceux-ci sont debout, luttent sans poing levé, car un trop plein de misère peut créer un trop plein d’amour.

L’histoire, la nôtre, celle que nous avons vécue avec les pauvres a été le carrefour de notre propre histoire. Les nuits passées au chevet d’un malade, les dimanches avec les enfants seuls, les affrontements, les temps de vraies douleurs et de larmes ont fait de nous ce que les pauvres nous ont fait.

Histoire d’une solidarité, d’une fraternité, d’espoirs partagés, d’une adoption, d’une permission d’être à leurs côtés. C’est la nouvelle histoire de nous-mêmes. Ils ont changé le sens de notre histoire.

Si nous interrompons, peu importe, notre mémoire sera forgée par ce temps-là, nous façonnerons un nouveau regard sur les pauvres.

Histoire d’un vécu qui se crée tous les jours, que l’on veut nouveau. Un présent sans cesse confronté par ce que l’événement provoque, impose la création de l’histoire des pauvres, est le refus de ce qui se passe. Nos succès, étapes de l’espoir, regain de confiance, force pour un autre engagement et de nouveaux succès.

C’est par cette histoire bâtie au jour le jour que se crée l’intelligence des peuples, leur fierté, leur honneur.

Sans l’histoire de nos luttes, il n’y a pas d’histoire de l’espérance. Car l’espérance n’est pas « petite sœur » (Péguy). Elle est feu sur la terre, dont l’ambition est de la consumer toute. Un militant n’est donc pas celui qui subit l’histoire mais celui qui la crée.

Mais l’histoire du Mouvement est celle des absents, des silencieux, car notre combat est de faire sortir de l’ombre ceux qui se taisent dans leur enfermement, qui s’emmurent dans leur désespérance. Ainsi notre histoire n’est pas celle qui fait bouger les structures, les systèmes, mais celle qui crée les solidarités à l’intérieur même du milieu avec les plus décriés.

On peut dire qu’elle est l’histoire de l’amour, puisqu’elle éveille à la tendresse, la pitié, la compréhension au respect, à la justice, à leur confiance, à la certitude que pour chaque homme, il est une part de lui-même qui peut le forcer à se mettre debout, et à se sentir responsable avec les autres.

Reconnaître les plus pauvres est un acte. Se forger en disciples. Être à l’affût des rêves cachés.

Quelle voix faire émerger ? Quelles minorités muettes ? Toutes. Mais il y a des messages plus radicaux, plus globaux, parce que plus irrationnels, plus insensés, plus incompréhensibles, qui témoignent que les hommes sont intégrés, que rien ne détruit leur essentiel.

Non, les pauvres n’ont pas toujours raison ; mais ils sont les inspirations les plus folles, les plus absolues.

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