Le procès des pauvres dans l’histoire.

« Marie-Claire Morel, pendant quatre ans, a traqué dans les archives de sa région le témoignage du partenaire toujours absent de l’histoire : les plus pauvres. Nul écrit sur leur pensée, leurs dire, la façon dont certains d’entre eux ont pu rejoindre le coeur de la lutte ouvrière…

Absents aussi ceux qui bravent les préjugés se sont de tout temps engagés aux côtés des plus pauvres, cherchant de nouvelles formes d’accueil, de rencontre et de fraternité.

Espérons que d’autres historiens prendront la suite ; car le Quart-Monde, face cachée du monde ouvrier, a besoin de son histoire pour affirmer son identité et retrouver sa place, sa signification, son expression parmi ses frères.

Et nous avons tous besoin- de connaître cette histoire pour comprendre les sources de l’exclusion sociale contemporaine, exclusion qui traîne encore dans nos comportements, nos idées et même nos lois : n’avons-nous pas découvert récemment que parmi les personnes non éligibles comme conseillers municipaux figuraient « ceux qui sont dispensés de subvenir aux charges communales » ? (Loi du 30 juin 1975). N’est-ce pas là un vieux relent du suffrage censitaire aboli à la Révolution ?

Tout au long de ces pages, nous retrouvons les discriminations entre « bons » et « mauvais » pauvres : ayant droit à la matricule ou non, inscrits dans une paroisse ou errants, pauvres qui travaillent ou traités d’oisifs et de paresseux…

Mais tout cela est-il vraiment révolu ? Ne voyons nous pas avec la crise actuelle un regard sur la pauvreté tendant à distinguer les « nouveaux pauvres, involontaires, conjoncturels » et les « pauvres de toujours » présumés connus parce qu’ils sont fichés dans nos bureaux d’assistance publique ou privée ; les premiers sont dignes d’intérêt, tandis que les autres sont considérés à charge sous le prétexte qu’ils n’ont pas tellement envie d’en sortir ».

N’avons-nous pas constamment retrouve en vingt-cinq ans de lutte à travers différents régimes politiques et idéologiques cette tentation de trier, d’écrémer, de « repêcher » les moins meurtris par la misère : ainsi est-il facile d’éviter de remettre en question notre démocratie…

Nous les avons acculées à casser leur solidarité pour paraître plus méritant que le voisin. Des générations successives de nantis et de privilégiés ont toujours maintenu dans l’aide ou la répression ces familles considérées comme des cas d’exception quel que soit leur nombre.

Or la pire injustice faite aux pauvres dans le monde moderne n’est-elle pas de. retirer toute signification politique à ce qu’ils endurent, les privant ainsi d’une parole publique, plus sûrement encore que par l’ignorance et la honte qui les oppressent.

Merci à Marie-Claire Morel d’avoir contribué à restituer au Quart-Monde une partie de son histoire, d’avoir desserré le bâillon qui lui obstrue la bouche et l’esprit, mais qui ne peut faire taire son coeur ».

Joseph Wresinski

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