Les plus pauvres dans la ville

Les plus pauvres dans la ville, incitation séculaire au combat pour les droits de l’homme

Intervention faite à la Conférence « Les Pauvres dans la Ville », organisée par l’Unesco, au Palais de l’Unesco à Paris, du 8 au 11 décembre 1980

« Me permettriez-vous de rappeler brièvement ce qui, depuis 1789, est entendu par le Quatrième Ordre ou le Quart Monde ? De cette explication dépend toute l’action pour les droits de l’homme à mener dans les quartiers urbains, dans les faubourgs ou les terrains vagues autour de nos villes, où survivent comme elles peuvent les familles du Quart Monde, en notre temps.

UN PEUPLE DONT L’HISTOIRE N’EST PAS CONTÉE

 Le Quart Monde, disions-nous, est cette couche de population au pied de l’échelle sociale, la plus pauvre par conséquent, qui dans tous nos pays, industriels ou en voie de le devenir, se trouve pratiquement en dehors de la vie économique, culturelle et sociale des autres citoyens.

De fait, on pourrait sans doute en dire autant, non pas des pauvres mais des totalement paupérisés de tous les temps, particulièrement dans l’Europe occidentale, pour ne prendre que cet exemple-là. L’exclusion des plus pauvres y a été de tous les siècles et c’est de ces pauvres exclus que parlait Dufourny de Villiers en demandant leur représentation aux États Généraux de 1789. Le problème était qu’il s’agissait déjà et qu’il s’agit encore aujourd’hui d’une population aussi difficilement identifiable qu’elle est universelle dans le temps.

Difficilement identifiable, parce que l’histoire des plus pauvres à travers les âges n’a pratiquement pas été contée. Les plus pauvres, on le sait, n’apparaissent dans notre histoire qu’épisodiquement, à coup de flashes si l’on peut dire, dans la mesure où, épisodiquement, ils attirent une attention plus particulière de la part de leurs contemporains non-pauvres.

Nous ne nous attarderons pas ici sur cette permanence d’une existence hors histoire faite aux plus pauvres, mais dont il est pourtant possible de détecter les traits universels, en lisant entre les lignes des documents d’époque bien souvent. Simplement, songeons un instant à cette pérennité de l’expulsion des plus pauvres qui traverse l’histoire de nos villes d’Occident comme un fil rouge. Expulsion qui est aujourd’hui, sous d’autres formes, toujours la même qu’au Moyen Age.

Souvenez-vous des pauvres qui, à l’époque, avaient droit au matricule, c’est-à-dire à une reconnaissance et une aide assurées. Souvenez-vous des pauvres moins honorés, mais accueillis quand même, dans les hospices, les hôtels-Dieu, les maladreries, même quand ils n’étaient pas des malades à proprement parler. Pauvres accueillis sinon toujours bien vus, et qui avaient droit au souci pastoral d’un évêque, à certain moment de l’année, et au souci de religieux ou de religieuses, toute l’année durant. Mais souvenez-vous, surtout, car ce sont eux qui nous intéressent, des pauvres trop misérables pour être de « bons pauvres » et, pour cela, enjoints de quitter les remparts de la ville avant le coucher du soleil.

C’était ces pauvres-là, aussi, dont la justice séculière débarrassait les villes du Brabant, prenant à son compte les peines imaginées par l’Inquisition. Ces peines, qui permettaient d’expédier une population en haillons, gênante pour le bon peuple, vers de lointains pèlerinages, pour des vols de nourriture ou autres larcins de pauvres. Les plus pauvres ont toujours été de mauvais pauvres, et cela non pas pour des raisons de mauvaise moralité congénitale, comme l’humanité se le répète de siècle en siècle. Ils ont été et sont encore de mauvais pauvres, parce qu’en dessous d’un certain seuil de pauvreté, il n’est pas possible de vivre selon les normes de bonne conduite de la communauté environnante.

C’est pour cela que la misère peut se transformer en cercle vicieux. Ce qu’elle fait de ses victimes conduit leurs contemporains à les priver, d’une façon ou d’une autre, de leur droit de cité, des droits fondamentaux de leur époque. Dans des temps plus anciens, la ville les vomissait et ils allaient alors rejoindre les miséreux campant en dehors des murailles ou encombrer les routes des pèlerins, des marchands ambulants et des troubadours, survivant dans leur sillage, s’inventant pèlerins, marchands, troubadours à leur tour, ou se faisant plus simplement brigands, coupe-jarret…

La ville les a vomis… »

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