Raviver des souffrances endormies ?

« Ce fut une question de confiance pour la famille Geva d’accepter de nous raconter l’histoire des siens, depuis sept générations.

Non pas que Monsieur et Madame Geva avaient honte de leurs ancêtres, mais pourquoi raviver des souffrances endormies, pourquoi faire revivre les labeurs et l’usure de la mine, l’épuisement des travaux de ferme et dans les carrières…

Leurs ancêtres ont tant peiné et travaillé qu’aucun d’eux n’allait vivre au-delà de 40 ans. Ils ont connu tant de privations et d’ignominies que les enfants qui survivaient n’étaient que les rescapés de nombreux enfants morts en bas âge.

Aujourd’hui, la misère est moins criarde pour Paul Geva et n’est-il pas le seul de sa lignée qui connaisse ses petits enfants et qui tente de leur transmettre l’image d’un monde où les travailleurs seront respectés, où la justice sera fraternelle pour tous, où l’instruction et le métier seront l’héritage de tous, où la solidarité jouera à plein au plus bas de l’échelle sociale.

Héritier d’un Quart Monde d’honneur et de courage, Monsieur Geva a hésité longtemps à nous montrer ses lettres de noblesse. Il l’a fait grâce à la confiance qu’il porte à Madame Rabier.

Ce fut aussi un cas de conscience pour lui d’accepter que soit publié ce récit. Qui s’en servira ? Qui l’exploitera ? Pour qui ? Pour quoi faire ? Puis il s’est convaincu qu’il ne pouvait se taire, qu’il devait parler, car des millions de laissés pour compte doivent savoir qu’ils sont des hommes, que tous les citoyens doivent le reconnaître et nouer avec les plus défavorisés des liens de solidarité.

Ainsi, aujourd’hui, il nous parle pour restituer aux sous-prolétaires leur honneur de travailleurs, mais aussi pour nous transmettre le message des pauvres. Parce qu’elle atteint la dignité de ceux qui la supportent, la misère est le mal absolu et le seul combat qui vaille est de la détruire ».

Joseph Wresinski

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