Une communauté pour demain.

ATD Quart Monde , une communauté pour demain

Un mouvement de rassemblement

Le Mouvement ATD Quart Monde n’est pas une communauté au sens propre du terme : il est une promesse de communauté, il est engagement vers la communauté.

C’est un mouvement de rassemblement. Il cherche à rassembler tous les défenseurs des droits de l’homme et du citoyen, ceux qui sont connus et ceux qui ne le sont pas, ceux qui ont pignon sur rue, comme la grande multitude de ceux qui restent dans l’ombre. Il cherche à rassembler tous ceux qui payent de leur personne pour que l’homme vive et puisse respirer, pour qu’il puisse aimer et chanter.

Il cherche à rassembler l’humanité autour de ceux qui ont été exclus de toutes les communautés. Il cherche à rassembler tous les hommes, indistinctement, avec ce qu’ils ont de meilleur et ce qui les rapproche les uns des autres : le désir d’être utiles aux autres, le besoin de pouvoir compter dans la vie de l’autre, le besoin de pouvoir témoigner de son amour à ceux qu’on aime.

Ce rassemblement de tous et de chacun ne pouvait se faire ailleurs qu’autour de ceux qui ont le moins de moyens, autour de ceux qui n’ont pas la force de créer la communauté à eux seuls, autour de ceux à qui l’on ne peut demander d’aller rejoindre au loin une communauté qui s’est créée sans eux.

Ce sont eux, les exclus de partout, qui sont à l’origine du Mouvement ATD Quart Monde. Ce sont eux les maîtres d’ oeuvre.

Un corps volontarial

Pour rendre possible ce rassemblement, le Mouvement a suscité un corps volontarial particulier, le volontariat ATD Quart Monde.

Ce volontariat est une étape, une marche vers la communauté.

Il est déjà au service de la création, autour des plus pauvres, de la grande communauté universelle entre tous les hommes.

Déjà, il témoigne que ce rassemblement est possible, quelles que soient les appartenances religieuses, philosophiques ou politiques.

Il s’inscrit dans la longue lignée des mille et une tentatives qui, tout au long des siècles et à chaque génération, a voulu enrichir par les nouveaux engagements, l’héritage des engagements communautaires des peuples.

Le volontariat ATD Quart Monde est composé d’hommes et de femmes, de familles, qui ont accepté de donner la priorité aux familles de la misère. Ils ont voulu leur donner la priorité dans tous les domaines de leur vie, privée ou publique, pour que soient définitivement brisée l’exclusion et sa fille, la misère.

Ils ont accepté d’être interrogés, remis en question par l’exclusion et la misère dans leurs idéaux religieux, dans leur vie associative, professionnelle et politique, dans leur vie affective et culturelle.

Ils ont renoncé à vouloir faire carrière. Ils ont accepté de vivre et de travailler en équipe, pour partir à la recherche des familles les plus mal loties et se mettre à leur service. Ils ont accepté un salaire équivalent à la moitié du SMIC pour permettre l’engagement de nouveaux compagnons et vivre l’état de gêne.

En rejoignant ce volontariat, ils acceptent de partager une même manière de vivre, de sentir et d’aimer qui puise sa source dans une longue et respectueuse fréquentation des personnes et des familles dispersées par la misère et l’exclusion.

En s’engageant de la sorte, les volontaires ne sont que les héritiers de tous ceux qui ont suivi les grands personnages ayant jalonné l’histoire des pauvres. Dans un monde où l’Église n’a jamais cessé de rappeler l’éminente dignité des plus pauvres, ces personnages sont aussi des figures de proue dans l’Église pour qu’ils soient libérés de la misère.

Je pense à des géants comme François d’Assise et son baiser au lépreux. Je pense à Ignace qui propose à ses futurs compagnons de se mettre à l’école des « rudes » en partageant leur vie dans les hôpitaux. Alphonse de Liguori découvre que pour être sujet de droit, les hommes ont besoin d’abord de recevoir le témoignage de leur éminente dignité d’homme et de fils de Dieu. On pourrait citer ce haut personnage que fut Vincent de Paul ou cette humble femme qu’était Jeanne Jugan. L’un comme l’autre ont proposé de choisir les pauvres comme maîtres et seigneurs. Comment ne pas citer ce vaste courant d’une grande richesse créative qui a permis, le siècle dernier, à 200 000 femmes en France d’assumer une place réelle dans la vie sociale et le développement social, intellectuel et spirituel des plus pauvres.

Ce qui caractérise ces héritiers que sont ces volontaires, c’est qu’ils viennent de tous bords philosophiques et religieux.

Ce qui les unit, ce n’est pas une même croyance, une même foi religieuse, ce n’est pas une idée, pas même celle de la communauté. Ce qui les unit, c’est une volonté de respecter les familles les plus misérables. C’est la conviction que ces familles sont engagées très concrètement à soutenir et libérer plus pauvres qu’elles. C’est la reconnaissance que ces familles sont essentielles à la communauté humaine parce qu’elles font entrer dans la vie sociale, économique et spirituelle, ceux qui en sont totalement absents.

Ce sont ces familles écrasées de misère et de honte, ce sont des familles de chair et d’os qui ont rassemblé les volontaires du Mouvement. Celles-ci ne se sont pas préoccupées de leur origine, de leur foi. Elles ont seulement vérifié la réalité de leur refus de toute misère et ont cru en eux.

La communauté ainsi créée n’est-elle pas un reflet de ce qu’est la société contemporaine ? En Occident, il n’est plus nécessaire d’affirmer une appartenance religieuse pour se mettre aux côtés des plus pauvres et lutter pour la justice, la paix et la fraternité.

Une communauté née de l’expérience

Le corps volontarial est né de l’expérience, au coeur des cités de misère.

Comment ne pas s’unir, pour habiter et tenir, au coeur d’un bidonville ? Comment ne pas se serrer les coudes pour faire face aux réalités si dures de la vie des plus pauvres ? Comment ne pas vouloir partager les efforts, les échecs et les joies, quand on est si peu nombreux face à un projet démesuré ?

Quoi de plus naturel que de se rassembler pour donner à chacun un peu de la sécurité dont il a besoin pour poursuivre ? Quoi de plus naturel que de s’unir pour devenir un signe planté au coeur du monde de la misère, signe qui révèle l’espoir d’un monde plus fraternel ?

Quoi de plus naturel…

Et pourtant, ce n’est que petit à petit que sont apparues les exigences fondamentales d’une vie communautaire renouvelée, pour faire naître un peuple, lui donner les moyens de la parole et de la participation, gage de sa libération.

1. La communauté, une exigence due au fossé de l’exclusion

Comment ne pas se rendre compte que l’espace professionnel ne s’est pas défini ni structuré dans un dialogue permanent avec les familles les plus pauvres ? Celui qui voudra les prendre au sérieux, aujourd’hui comme hier, sera amené à prendre des risques importants. Qui les assumera avec lui ?

Comment ne pas se rendre compte aussi que donner une place aux très pauvres, cela veut dire introduire dans sa vie des références nouvelles, des sensibilités nouvelles ? C’est accepter de voir les amis et les parents s’éloigner de vous parce qu’ils ne perçoivent pas l’utilité d’un combat contre la misère qu’ils croient perdu d’avance.

Donner une place aux très pauvres, c’est accepter aussi qu’ils interviennent dans ce qui pouvait sembler des certitudes acquises : dans la manière de concevoir sa famille, dans la manière de vivre sa foi, par exemple. Qui vous aidera à reconstruire ? Qui vous donnera assez de paix pour que vous puissiez aller de l’avant ? Qui vous donnera assez de liberté pour tenter l’aventure et donner une vraie place à celui qui n’a jamais eu de place, qui n’a jamais été consulté comme un frère ou un partenaire de destin ?

2. La communauté, une exigence pour oser croire

L’homme de la misère s’est vu tellement souvent accusé de ses échecs, montré du doigt, soupçonné, maudit, qu’il en arrive parfois à douter qu’il puisse être aimé, respecté, à douter même qu’il en soit digne.

Le témoignage d’une personne isolée est bien maigre face à une expérience constante et tellement publique. L’homme de la misère éprouvera le besoin de vérifier, de tester, de confronter. « Qui est-il ? Pourquoi vient-il ? Quel est son intérêt ? » se demande-t-il. « Est-ce à cause de son Dieu ? Est-ce pour les succès, les victoires ? » Autant de choses qu’il cherchera à vérifier, à tester.

Quelle chance, si cet homme a l’occasion de recevoir le témoignage d’une communauté dont la fidélité va bien au-delà de l’engagement des seules personnes, d’une communauté qui peut témoigner qu’elle n’a pas d’autres raisons d’être là que l’amour et la libération de sa personne et de son peuple. Une communauté qui proclame que la misère peut cesser et que chacun, à commencer par les victimes, peut jouer un rôle essentiel dans sa destruction. Quelle chance si la communauté peut dire qu’elle n’a de compte à rendre à personne d’autre, sinon aux frères d’engagement et aux plus pauvres.

3. Une communauté, tremplin d’une prise de parole

Face à la multitude des bonnes volontés, face à tous ceux qui sont prêts à faire quelque chose, comment permettre aux familles, souvent dispersées et seules, de prendre la parole et d’intervenir ? Comment, sinon en leur fournissant les moyens d’un rassemblement et d’une parole collective, d’une parole dans l’unité et la justice.

Une technique de développement communautaire sera toujours utile et intéressante, mais quelle chance de pouvoir compter sur une communauté capable de se recueillir devant ce que vous êtes, devant ce que vous balbutiez, une communauté qui cherche à se laisser modeler par ce que vous cherchez avec elle, une communauté qui témoigne, par son engagement et son respect, qu’il n’est pas nécessaire d’enfoncer son voisin de misère pour capter la bienveillance de celui qui vient à votre rencontre. Quelle chance de pouvoir compter sur une communauté qui se propose comme relais de votre prise de parole dans un monde tellement implacable.

La communauté volontariale a les moyens de transformer les événements de la vie des plus pauvres en histoire et en culture, parce qu’elle relie ces différents événements en y introduisant l’espoir et l’honneur, parce qu’elle peut transformer en références et en valeurs ce qui n’était jusqu’alors qu’habitudes furtives.

4. Une communauté, outil de participation

Les moyens dont disposent les familles de la misère sont tellement réduits, les embûches si nombreuses, les méfiances si grandes, que les victoires individuelles et collectives sont bien rares. Or il en faudrait tant pour ne pas se décourager, pour entraîner et pour mobiliser…

Comme communauté de vie et de destin, en gestation, le volontariat est la première réalisation collective du Quart Monde. Il est sa première victoire. Il est son premier cadeau offert pour le développement des peuples, pour la libération de tous ceux qui sont enchaînés par la misère et ses conséquences.

Ce volontariat s’est bâti sur les intuitions et sur la sensibilité des familles du Quart Monde. Il est son oeuvre.

Au siècle dernier, de nombreuses congrégations religieuses se sont créées à l’appel des besoins des pauvres. Chacune rendait gloire à Dieu tout en témoignant de l’honneur des pauvres. Le volontariat témoigne de ce dont les plus pauvres sont capables si on les écoute, si on les prend au sérieux. Il chante la gloire et l’honneur du Quart Monde et pour ceux qui croient, c’est l’honneur et la gloire du Quart Monde qui rend gloire à Dieu.

Sans le volontariat, le peuple du Quart Monde n’aurait pu être reconnu comme peuple. Il n’aurait pas eu de nom. C’est à cause du corps volontarial, qu’au-delà de leurs besoins, ils sont prophètes, guides, lumière pour le monde.

Mais cette communauté volontariale est encore bien fragile. Elle est en chemin vers la communauté. C’est pour cela qu’elle frappe hardiment à la porte de tous ceux qui ont faim et soif de justice, à la porte de tous ceux qui ont déjà une réelle expérience communautaire. Elle fait appel à eux. Elle a besoin d’eux. Elle croit qu’avec eux, il sera possible d’aller plus avant dans la recherche de ce qu’est une communauté universelle et interconfessionnelle où les plus pauvres sont le centre.

Cette communauté volontariale est un projet communautaire. Elle est en recherche d’une communauté renouvelée enracinée au coeur de la misère pour qu’aucun homme ne puisse en être exclu faute de moyens.

Une communauté prophétique

C’est une communauté prophétique. Elle est une tentative pour partager ce qu’il y a de meilleur en l’homme. Non pas se peurs ou ses craintes et tout ce qui le pousse à construire des défenses, mais elle est invitation à partager son désir de donner la vie, d’aimer et de pardonner. Elle est invitation faite à l’autre, au plus petit, à partager aussi le service qu’il rend déjà. Il peut ainsi être reconnu comme partenaire, comme quelqu’un d’engagé, comme un militant, comme défenseur des droits de l’homme et du citoyen. Elle est tentative pour faire se lever la communauté des plus pauvres, une tentative pour faire parler le silence et la honte.

C’est une communauté alternative. Sa référence n’est pas en priorité la qualité des échanges, la quantité des biens et des services que l’on a pu mettre en commun. Sa référence, c’est la centième brebis, celle qu’on a laissée se perdre en chemin. Le centre, le coeur de la communauté, c’est l’absent, celui qui n’est pas encore là. C’est autour de lui que la communauté est invitée à se reformer. Une telle communauté pousse toujours ses membres de l’avant. Elle les pousse plus loin. L’absent est le repère de sa qualité, le repère de son existence comme communauté.

Cette communauté est-elle chrétienne ?

C’est aux chrétiens de répondre à cette question.

Cette communauté rassemble des gens de toutes croyances et de toutes appartenances. Plusieurs se méfient de toute tentative de récupération.

Le fait est, que le Christ ne l’aurait certainement pas reniée. Elle correspond trop à ce qu’il exprimait de l’amour universel de son Père pour tous ceux qui sont au loin.

Le fait est, qu’elle correspond aussi au type de communauté décrite par le Christ quand il parle du Jugement dernier. Il y est question de tous ceux qui ont donné à boire et à manger à ceux qui en avaient besoin. Tous, croyants et incroyants, sont également surpris d’avoir servi le Christ sans le savoir. Ils sont tous appelés les ’Bénis du Père’.

Si Jésus s’exprime de cette manière, n’est-ce pas une invitation adressée à ses disciples, pour qu’ils respectent très fort ceux qui se mettent effectivement au service des plus pauvres, quelle que soit leur appartenance religieuse ?

Ce qui est certain, par ailleurs, c’est que les chrétiens et ceux qui n’appartiennent à aucune Église, tous sont appelés à vivre nouvellement ce que tout homme porte au plus profond de son coeur, à savoir, l’amour de l’homme.

Père Joseph Wresinski 23 janvier 1988

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