Retrouver son identité

En 1987, le père Joseph Wresinski s’adressait aux historiens dans le cadre d’une session organisée par l’Institut de recherche et de formation aux relations humaines : « Le Quart Monde partenaire de l’histoire ». Ce texte a été publié dans les Dossiers et documents de la Revue Quart Monde, n° 1, 1988. Cet appel à l’écriture d’une véritable histoire de la pauvreté, même s’il a été partiellement entendu, reste d’une urgente actualité.

Retrouver son identité

Le souci que les plus pauvres retrouvent leur identité par leur histoire est ancien dans le Mouvement ATD Quart Monde. Depuis maintenant plus de vingt cinq ans, nous nous efforçons de recueillir les témoignages sur la vie des pauvres et surtout les témoignages que les pauvres eux-mêmes nous donnent sur leur vie d’une manière ou d’une autre. Cet effort doit permettre de conscientiser les sous-prolétaires de façon à ce que munis d’une identité, ils puissent s’affirmer comme agents actifs au sein de nos sociétés modernes et de détruire la misère.

Savoir d’où l’on vient est une manière de retrouver son identité et de l’affirmer aux yeux des autres, dit Madame Michelle Perrot. Savoir d’où l’on vient, s’introduire dans un lignage, s’assurer des sécurités intérieures et personnelles, c’est donner une force aux groupes dans lesquels on vit, c’est se permettre de s’exprimer à l’intérieur et surtout de s’affirmer à l’extérieur de ces groupes.

Notre tentative consiste à redonner l’histoire aux pauvres mais, aussi l’histoire des plus pauvres à la société, afin, que la société en tienne compte pour les années et même les siècles à venir, afin qu’elle ne recommence pas les erreurs qu’elle a commises. Ce que nous avons vu ces dernières années des mesures prises à propos de ce que l’on appelle, indûment, les nouveaux pauvres, montre l’échec extrêmement grave d’une société qui ne sait pas traiter avec dignité et grandeur ses travailleurs les plus pauvres. Mais cette société a été mal servie par les sociologues, les humanistes, les défenseurs des droits de l’homme, les prêtres et le monde religieux. Notre société attendait d’eux l’appel de la dignité des pauvres, de la reconnaissance des pauvres et cela, les scientifiques, les universitaires, le monde social, politique et syndical ne le lui ont pas donné.

Cette tentative nous ne pouvons pas l’assumer si des scientifiques ne nous accompagnent pas, ne nous parrainent pas, aussi bien au niveau de la sociologie que de la psychologie, de l’économie, des droits de l’homme et de la religion. Nous ne pouvons pas risquer l’amateurisme.

Les plus pauvres nous ont parrainés. Cela fait maintenant vingt ans qu’ils acceptent de nous dire leur vie. Ils nous la racontent dans le partage que nous faisons avec eux des préoccupations qui sont les leurs et sont aussi les nôtres. Or nous ne sommes pas des chercheurs, nous sommes des volontaires, nous ne sommes pas des travailleurs sociaux ni scientifiques mais des volontaires, et le danger qui nous guette est de faire de la pseudo-science historique.

Il serait très grave que nous nous enfermions et que nous enfermions les sous-prolétaires dans une histoire mal décodée. Il n’est pas grave pour Oscar Lewis, qui a écrit la vie de la famille Sanchez, de dire qu’il y a une culture de la pauvreté. Ce n’est pas grave pour lui, ni pour les historiens ; c’est très grave pour nous. Ce serait grave si nous faisions un cheminement avec les familles sur une fausse science. De même qu’il ne faudrait pas que dans le domaine de l’histoire nous donnions à la société l’occasion de se tromper sur les pauvres. Il est temps que nous fassions l’histoire de la pauvreté en sachant que la pauvreté est le lieu d’une stratification absolument inconnue.

Par quelque bout que nous prenions le monde de la pauvreté quand nous le pénétrons, nous découvrons une richesse insoupçonnable, des valeurs vécues complètement cachées, ignorées, nous rencontrons des clivages dans tous les domaines, le pouvoir de la haine, l’amour et le besoin de liberté. Le monde de la misère est une terre absolument inconnue.

Nous avons la responsabilité en rendant l’histoire à la population de lui rendre l’histoire authentique de façon à ce qu’elle ne se bâtisse pas sur de l’à peu près historique. On ne bâtit pas un avenir sur des fables.

Je demande le concours de ceux qui sont des scientifiques de l’histoire, je le leur demande réellement avec beaucoup de chaleur et d’insistance. La population a besoin d’eux pour que nous ne la trompions pas. Nous devons avoir un très grand respect quand nous la contactons et que nous sollicitons son dire sur sa propre histoire.

Si vous entreprenez cette démarche-là et si le Mouvement ATD Quart Monde peut y apporter quelque chose, que ce soit, les uns et les autres, avec beaucoup d’humilité. Dans une telle démarche, les pauvres ont peut-être beaucoup plus besoin de notre part d’humilité que de justice.

2 commentaires Laisser un commentaire
  1. L’introduction de ce texte le situe en 1987. Or sa publication dans Dossiers et Documents est de 1983 si je ne me trompe et la session organisée par l’Institut bien avant, 1981 ?

    1. Le n°1 des « Dossiers et documents de la Revue Quart Monde » est bien de 1988. Ce qui est logique, car la Revue elle-même a été créée en octobre 86. Elle ne peut donc avoir publié avant cette date. Quant à la date exacte de la session dont ce n°1 rend compte, elle ne figure pas dans la publication. Mais c’est très certainement 1987.

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